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 Yohko

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Yohko

Yohko


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MessageSujet: Yohko   Yohko EmptyMer 11 Jan - 6:42

Au fond, ce « voyage » en bateau n'était qu'une large métaphore de sa vie : au moment où elle croyait avoir trouvé un semblant de tranquillité, tout s'emballait autour d'elle pour la faire replonger au plus bas.


Yohko vivait dans la belle ville d'Endone, capitale ducale de Vaunes. Son père, Bilissi, y officiait en tant qu'armurier. Du fait de la forte production agricole du duché, son activité restait rare, et donc peu rémunératrice. Cependant, il était véritablement passionné par ce qu'il faisait à longueur de temps : donner vie au métal qu'il travaillait. Et il transmit cet amour de la forge à sa fille unique.
Celle-ci semblait se plaire dans la vie qui était la sienne. La journée, elle allait travailler aux champs avec sa mère, Ilana. Puis, le soir, elle rejoignait son père en cachette pour l'observer faire. La demoiselle était simplement subjuguée de voir à quel point un vulgaire lingot pouvait devenir un objet d'art entre les mains de son père.
Quand elle fut surprise, à l'âge de quatorze ans, bien loin de la correction qu'elle attendait, Yohko reçut une franche bourrade de son père. Si bien que dès le lendemain, il entreprit de la former, sans en toucher un mot à Ilana. La vie de la jeune fille était peut être simple, mais elle lui convenait parfaitement.


Pourtant, Ilana fut l'une des premières victimes de la vague de peste qui toucha Tell. Étant donné son contact avec les caravanes qui venaient s'approvisionner en grain, la femme n'eut aucun moyen de se douter de ce qui l'attendait. Sa maladie fut fulgurante, et l'emporta après à peine plus d'une semaine. Et, pour la première fois de sa vie d' « adulte », Yohko pleura.
Alors que sa peine était à son paroxysme, Bilissi entendit parler de nombreux autres cas de cette maladie, aux quatre coins du duché. Il prit la seule décision qui lui vint à l'esprit, et l'annonça à Yohko au coin du feu.
-Écoutes... J'ai un ami qui habite à Port-Constance. Je lui fait entièrement confiance et je mettrais ma vie entre ses mains. Alors j'aimerais que tu partes, pour aller habiter chez lui. Au moins temporairement. Tu reviendras quand cette maladie sera repartie.
Il termina sa phrase en plaçant une bourse dans la main de sa fille, avant de l'étreindre avec émotion. Ce fut la seconde et dernière fois qu'elle pleura. Yohko se doutait déjà que ce serait la dernière fois qu'elle le voyait. Le voyage fut long et difficile, surtout pour une demoiselle qui n'avait jamais affronté la dure réalité de la vie, seule.


Et tout ne fut pas aussi rose que dans les espoirs de Bilissi. Zani, l'ami de l'armurier, tenait une taverne dans les faubourgs de Port-Constance, capitale royale de Tell. Loin de l'accueil qu'elle attendait, Yohko fut forcée à travailler pour son « maître », afin de mériter sa pitance quotidienne.
C'est ainsi que, dix ans plus tard, un petit brin de jeune femme de vingt-cinq ans servait des chopes à la chaîne. Du haut de son mètre soixante dix, elle subissait sans illusions les malheurs de sa vie. Ses yeux noisette en amande avaient depuis longtemps perdu l'étincelle qui les caractérisaient quand elle était plus jeune. Elle avait pourtant gardé les longs cheveux bruns de son enfance. Mais Yohko était devenue plus que taciturne. Déprimée. Brisée.
Ce n'est pas pour autant qu'elle se laissait faire. La demoiselle avait plusieurs fois dû recourir à ses poings pour conserver sa dignité, parfois même sa vertu. Et elle cherchait désespérément un moyen de s'extirper de sa condition d'esclave semi-consentente. Alors qu'elle commençait à tirer un trait sur ses rêves de liberté, elle entendit une conversation au fond de la taverne.
-Tu as entendu ce qu'il a prévu, ce nigaud de De Lesquières? faisait un homme passablement éméché, et au cheveu rare.
-Quoi encore? lui répondit un marin guère plus sobre.
-Il veut envoyer un bateau découvrir des nouvelles terres. L'Atlantis, qu'il s'appelle.
-Hé, si ca trouve, j'pourrais devenir riche là bas !
Alors que ces deux pauvres gens partaient d'un rire gras, le sang de Yohko ne fit qu'un tour dans son corps. C'était l'opportunité qu'elle attendait depuis dix ans. Mais il y avait un petit problème : elle doutait sincèrement qu'ils accepteraient des femmes sur ce navire.
Souci qui n'en était finalement pas un. Yohko coupa ses cheveux dans la nuit, et partit s'inscrire dès le lendemain sous le nom de Bilissi. L'illusion n'était pas si mauvaise : elle avait passé une bande serrée autour de sa poitrine, mit un pantalon, bombé le torse, et pris une voix plus grave. Elle avait pu passer pour un homme relativement maigre, voire un peu efféminé, mais cela avait suffit à convaincre un officier de recrutement pas très regardant.

Petit à petit, Yohko apprit à tirer partie de sa position privilégiée sur le navire : elle était la seule à savoir travailler le métal. Au delà de lui assurer un semblant de protection qui était appréciable dans ce rafiot bourré de testostérone, elle avait un moyen de profiter de la situation. Au fond de sa forge, on ne venait pas vraiment la déranger.
Alors, elle a décidé de faire quelques extras.
De temps à autres, on lui demandait quelques petites choses. Un poignard, ou même une dague. La jeune femme avait décidé de s'exécuter, en profitant pour avoir de petits avantages en contrepartie. On lui proposait de l'aide pour les tâches de la forge, de la remplacer pour des travaux intensément physiques sur le pont, ce genre de choses. Exactement ce dont elle avait besoin pour faire tenir sa couverture.


Malgré tout, elle fut découverte.
Le charpentier, un Vaunesien, l'a prise au dépourvu, et elle n'a plus pu nier l'évidence. Un genre d'accord tacite a été passé entre eux.
Le coq, qui recourait à ses services de forgeronne, découvrit également sa nature féminine à force de la cotoyer. Cela ne changerait rien à leur relation : si l'un tombait, l'autre suivrait immédiatement. Depuis qu'elle lui avait rendu service, ils avaient mis en place un semblant de marché noir. Elle lui fournissait ce dont il avait besoin, il lui procurait le peu de nourriture qu'il parvenait à subtiliser.
Les marins en profitaient aussi. Ce qui lui assurait une fois de plus qu'elle serait en sécurité.
Ce qui ne serait pas de trop.


Après quelques jours, environ une vingtaine, la situation s'est dégradée à vue d'oeil. Pénurie de nourriture, officiellement.
Mais c'était aussi le comportement des hommes du nobliaud qui irritait les marins.
Ils étaient devenus plus brutaux, ne prenant plus de pincettes avec les hommes. Yohko crut souvent leur petit manège découvert, mais ils parvinrent à se dissimuler efficacement. Pourtant, elle ne put bientôt plus rien recevoir : les cales étaient quasiment vides. Ses discussions avec ses camarades devinrent claires : ils allaient prendre le contrôle du navire.
La jeune femme tenta de les en dissuader. Elle n'appréciait pas réellement l'idée d'avoir recours aux armes. Pourtant, elle comprit vite qu'elle ne pourrait rien changer.
Les hommes. La virilité, un truc comme ça.


Le soir de l'attaque, elle resta le plus en arrière possible. Assez au front pour ne pas être considérée comme une traîtresse, mais pas assez en avant pour prendre de véritables risques. Elle n'était pas assez à l'aise avec son poignard pour tenir tête à un homme d'arme entraîné, même affaibli par la faim et les privations.
Tout prit fin aussi vite que cela avait commencé.
Dès lors, elle reprit son poste, sans grande conviction. Elle avait de nombreuses choses à réparer, suite à la mutinerie. La demoiselle se consacrait à ce qu'elle était capable de faire. Cela lui permettait de ne pas penser à ce qui lui arrivait.
Elle avait fui pour trouver la liberté. Elle n'avait trouvé qu'une mort certaine.
Et elle entendit :
 
-TERRE CAMARADES! TERRE!!! NOUS RENTRONS CHEZ NOUS!

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