*pose la lettre, outré par l'impertinence du scientifique, part frapper dans un mannequin de paille pendant quelques heures pour se détendre, puis prend sa plume pour répondre*
Monsieur Pereire,
Le seul sang que je fais couler est celui de la racaille qui parcourt ce continent, camouflée parmi les honnêtes gens. Il faut, dans toute cité, des hommes pour se salir les mains et protéger ceux qui passent leur vie à lire et à profiter de l'existence. Ne vous apitoyez pas trop sur le sort des malandrins qui payent de leur vie leur goût du vice, car la votre aurait tout aussi bien pu être perdue au détour d'une ruelle ou d'un chemin dans un coupe gorge, si je n'étais pas là pour pratiquer la saignée qui vous est si désagréable dans les rangs des meurtriers et des brigands.
Après avoir lu votre ouvrage à la bibliothèque de Port Lumière, je devine quelqu'un dont les intentions sont bonnes mais le jugement infiniment trop naïf. L'érudition qui vous amené à passer plus de temps en compagnie de livres que d'êtres de chair et de sang vous a apparemment privé de la réalité du terrain, ce qui est dommageable pour quelqu'un qui se présente comme un scientifique. Apprenez Monsieur Pereire qu'en coupant des têtes au nom d'un tiers, comme vous le dites si bien, je fais justement déjà quelque chose de bénéfique à la collectivité, en lui épargnant le prix du sang qu'elle paierait de la main même de ceux que j’exécute : violeurs d'enfant, déments, possédés, sanguinaires...
Je ne blâme pas l’innocence de vos sentiments, je vous demanderais simplement de vous adresser à moi à l'avenir avec le respect, si ce n'est la déférence nécessaire, compte tenu de mon rang. Ma "meute", comme vous qualifiez si bien la milice, n'est point constituée de loups assoiffés du sang des brebis mais d'hommes qui choisissent de passer leur temps sur les routes boueuses à la traque de criminels et de monstres, précisément pour que vous puissiez vous promener dans Port Lumière sans encombre, et fréquenter l'auberge sans être roué par des ivrognes. Merci de ne pas être trop prompt à administrer vos sermons enfantins et dénués de tout sens en Irowa. Vous n'êtes plus sur Tell où les joutes verbales de cour règlent les différends, avec un duel mensuel qui vient couronner la parade.
Concernant Laurvain, l'idée me semble intéressante, mais je ne vais pas vous financer pour ouvrir un commerce, fusse t-il d'onctions et de baumes de guérison. Néanmoins, la somme que vous demandez pourra vous être déduite du prix de la parcelle, étant donné que la demande en terres est actuellement nulle dans le village. Nous discuterons de la réalisation de ce projet de vive voix.
Vous aurez donc pu constater par vous même que je manie aussi bien la plume que l'épée, ne jugez donc pas un homme à la besogne qu'ils choisit d'exécuter pour sa communauté ; son histoire et ses talents sont parfois bien éloignés de sa place actuelle. Mon élévation intellectuelle se fera d'elle même, merci de vous en soucier, je lirais les études que vous ne tarderez pas à publier à l'issue de vos recherches. C'est à mon tour de penser à vous, et à raison cette fois ci : je ne peux m'empêcher de vous inviter à venir vous adonner au métier des armes à la caserne, je me ferais une joie de vous initier à l'épée et à l'arc pour vous apprendre à vous défendre. Je ne voudrais pas que vous vous soyez blessé en attaquant un mort vivant avec un parchemin...
PS : J'aurais bien entendu l'amabilité de détruire par le feu votre courrier qui, s'il était arrivé dans les mains du gouverneur, aurait pu valoir votre suspension de l'Université voire votre bannissement... Flattez les puissants n'est pas une obligation monsieur Pereire, mais si vous comptez faire de vieux os à Port Lumière, et j'en suis convaincu, gardez vos opinions derrière le langage fleuri de vos romans, elles y seront dans le meilleur écrin.
A l'avenir, ayez un regard moins sévère pour les hommes que vous verrez patrouiller dans les rues de Port Lumière, car sans eux votre vie paisible serait bien plus agitée. De même, ne condamnez pas toujours ceux que la fatalité ou la providence ont placés à la tête de la communauté, c'est une mission parfois ingrate dont l'orgueil n'est pas toujours la cause.
Dreicc Dréan, Capitaine de la Garde De Port Lumière